Il m’arrive régulièrement de me demander si j’ai le droit d’écouter du hip-hop et du rap. En général c’est au moment où je verse l’eau chaude dans la théière en fonte japonaise. Thé vert, eau à quatre-vingt degrés et infusion courte sur fond de Wu-Tang et de Public Enemy. Ça me paraît tellement contradictoire, fight the power, tellement loin de mon quotidien de trentenaire, marié, deux enfants, ingénieur, des quartiers bobos grenoblois. C’en est presque indécent.
Alors je pense à Duke Ellington qui aurait dit « There are only two kinds of music. Good and bad, that is. » et je me dis que tant que c’est bon la question du droit ne se pose pas. Je monte le son. D’ailleurs se la poser cette question revient de facto à envisager une société découpée en tranches qu’ils ne faudrait pas mélanger. No me gusta.
The Ultimate ExperienceOn peut quand même nuancer le propos de Sir Duke par un : la musique dont il nous manque la culture, les codes, l’habitude. Il y a vingt ans (ouch) ma sœur (coucou sis!) m’offrait l’Ultimate Expérience de Jimi Hendrix. Première écoute laborieuse, deuxième aussi, troisième pareil. Je devais me forcer à finir le disque ; c’était vraiment différent et, pour le coup, véritablement pénible, pas bon et tout ce qu’on veux. Ça n’aurait pas été un cadeau j’aurais laissé tombé. Quelques (fatigants) tours de disques plus tard c’était parti. I’m a voodoo child baby. Dans le même genre, il n’y a pas si longtemps j’ai tenté de convertir un ami aux 36 chambers. Il n’a pas passé le premier morceau et, finalement, ne s’y est pas mis. Pourtant je suis sûr qu’il y avait moyen que ça lui plaise.
Avec tout ça je ne sais pas si je dois rire ou pleurer de cet article de Xavier Molénat chez Sciences Humaines qui, d’une, me conforte dans mon statut de bobo -d’ailleurs rien que de lire Sciences Humaines- et, de deux, nous ramène à la société en tranches qu’on aurait voulu ignorer.