Je viens de finir Une pièce montée de Blandine Le Callet. Le dernier chapitre m'a replongé dans des réflexions que j'ai eu il y a quelques mois.
La mariée raccompagne sa grand-mère fatiguée dans sa chambre. Elle reste un peu. Sa grand-mère demande à sa petite fille ce qu'elle sait de sa vie ; elle ne sait rien. Sa grand mère lui dit qu'elle va bientôt mourir ; elle nie mais non, il ne faut pas dire ça.
Je regarde mes filles avec leurs grand-parents. Julie explique qu'elle a mangé des épinards. Elle leur raconte aussi qu'elle est allé dans un parc et qu'elle a ramassé des bâtons. Tout le monde est heureux : le bonheur simple et entier d'être ensemble.
Avec l'adolescence, puis l'entrée dans l'âge adulte, on voit moins ses grand-parents. Ils connaissent nos étapes clés, les il passe son bac, les il entre en école d'ingénieur et les il a une copine, mais ils ignorent que le jour où on a rencontré sa future femme, on s'est baigné à poil parce qu'on était bourré. Ils nous suivent de loin : ils ne nous connaissent plus.
Et nous de faire pareil. On sait les fracture du col du fémur, les opération de la cataracte, mais on ignore involontairement et à dessein qu'ils se dégradent, qu'ils le vivent mal, qu'ils se sentent seul. Des fois, vers la fin, ils nous avouent un peu honteux que c'est dur d'être vieux. Le plus souvent, mal à l'aise, on nie. Des fois on fait oui de la tête. On sort de la pièce, on descend les escaliers, on part. Ça va mieux. On ignore leur présent, on ne connait pas leur passé.
Pourtant on se connait depuis toujours.
Quand je visite mon grand-père, paternel, je vais dans la petite pièce au fond à gauche. Là, il y a des morceaux de ma grand-mère qui a vécu un temps une vie parallèle à la mienne. Il y a une photo d'elle devant des bateaux. Elle a un lourd sac à main. Où-est-ce ? Aimait-elle ça, les bateaux ? Il y a aussi un chat en plastique, jouet d'enfance, qui reste là : inutile et moche. Deux boutons pour les yeux.
Quand ma grand mère, maternelle, est morte, je ne savais rien d'elle. Elle a fait le conservatoire à Lille, elle a tenu un magasin de disques et d'instruments de musique à Valence. J'avais des souvenirs de musique sur le piano du salon, une boite de cachou périmée dans la boîte à gants de sa voiture, des morceaux de pain avec du sucre dans un petit sac à mon nom pour le goûter de l'école, la chute du mur de Berlin aussi. Et puis des bisous, des sourires et des mots doux. Ensuite, j'ai appris qu'elle jouait aussi du violoncelle et de l'accordéon, que pour la mort de mon grand-père, que je n'ai pas connu et que pourtant j'appelle papy, on écoutait du Django. Les yeux noirs.
J'aurai aimé parler de ça avec elles. Parler aussi de la guerre, des tartes aux pommes, de l'arrivée de la télévision, de leurs premiers amours, des congés payés, de la jeunesse il y a presque cent ans.
Je doute que ces discussions soient plus facile quand, à notre tour, nous y serons. Peut être qu'avec toutes nos images, notre mort sera moins une disparition.